Par Dr. KOMIDOR NJIMOLUH HAMIDOU, Politologue

*LE ROI NJOYA, CREATEUR DE CIVILISATION *

NJOYA voulut tirer profit de sa rencontre avec l’Occident, non pas pour se contenter de consommer les produits des occidentaux qu’il appréciait par ailleurs, mais pour se donner le défi d’en faire autant, voire de concurrencer positivement l’Autre (l’Européen…), et de se protéger, lui et son peuple, de l’aliénation, de la perte de sa liberté.

La force de l’Autre venant de sa capacité à produire le sens, à mettre à disposition les produits de sa fabrication, les biens matériels et valeurs spirituelles, NJOYA crut au génie de son peuple et à son génie propre pour se donner le pouvoir d’être producteur de sens. Son approche de l’Autre, sa vision de son environnement et l’idée qu’il se faisait de la grandeur de son peuple, de sa propre liberté, tout cela l’incita à jouer le mécène des Hommes qu’il éduqua à son génie et qui devinrent à leur tour des génies bâtisseurs, forgerons, tisserands, maçons, scribes…

Sous NJOYA, la case ronde Bamoun devint la maison spacieuse rectangulaire plus commode à l’expression de la vie. Et la qualité de la vie alla de pair avec de nombreuses innovations artistiques : l’enrichissement de la musique Bamoun de plusieurs compositions en langue Shu-mom, l’introduction de l’algaita d’origine sahélienne. L’émergence d’une classe de scribes, le développement des métiers divers permettant à une frange lettrée et professionnalisée de la population de vivre de ses œuvres, encouragea l’atteinte par les Bamoun d’un niveau de civilisation remarquable. Les reformes multisectorielles révolutionneront la sphère politique, l’agriculture et l’économie, l’art de vivre, ainsi que la transformation et/ou l’urbanisation de la cité de Foumban…, ce sont autant d’aspects civilisationnels à ajouter à l’actif de NJOYA, inventeur d’un moulin à maïs, géographe, géopolitiste qui réalisa une carte de son royaume. Il excella dans le mécénat et l’encouragement par des prix d’excellence aux artisans. Il transforma la médecine et la pharmacopée par souci d’amélioration de la santé de son peuple, et ce faisant, il introduisit une profonde réforme de mentalité, une révolution dans la conception cosmique et cosmologique des Bamoun. Cette nouvelle vision du monde allait connaître son apogée avec la rencontre d’autres conceptions, celles chrétienne et musulmane ; Njoya sut gérer cette rencontre des religions dans son royaume par la création d’une troisième voie, celle syncrétique du ‘’Nwet-Nkwète’’, en fait véritable fondement métaphysique ayant pour corolaire l’adoption d’attitude critique sans émerveillement autre que la curiosité épistémologique pour un choix dicté par le souci de sauvegarde de sa liberté et de l’autonomie de son peuple.

Et voilà Njoya, l’Africain, compris à travers ses œuvres immenses, l’homme en situation, à la rencontre des civilisations, réagissant au choc des mondes (l’Afrique, l’Occident et l’Orient), avec une posture positive face à ce qui constituait déjà la genèse de la globalisation que nous vivons aujourd’hui.

Njoya avait cherché à s’approprier le monde de l’Autre et le fondre dans le sien, dans une alchimie qui allait donner naissance non à un Janus biface à la double culture, mais à un nouvel être au confluent des cultures, retrouvant son bonheur dans le métissage absolu des cultures, dans l’appropriation de l’essentiel chez l’Autre, et surtout dans la conformité de l’être et de son environnement en mutation permanente. Il ne s’agissait pas pour Njoya d’absurdes confrontations civilisationnelles, mais de nécessaires concurrences dans le champ de la production des sens, par la quête des paradigmes de l’excellence.

Et voilà Njoya l’Africain, acceptant son hybridité comme valeur de civilisation par laquelle il conquiert le monde et s’y positionne positivement en se dépouillant des scories pour une synthèse intelligente des valeurs.

Aujourd’hui, l’Africain est confronté à un monde unifié et en perpétuel changement, et l’Africain d’aujourd’hui n’est plus l’ancêtre d’hier. Il est le produit du nègre malaxé par la traite des esclaves et la colonisation. Il est le produit de l’école occidentale et se côtoie avec une identité africaine atrophiée. Il est un être au carrefour des valeurs sans la synthèse desquelles il n’a pas de choix propres. Il est un être qui attend de mourir pour renaitre autrement, revêtu de la modernité mondialisée, avec sa capacité de producteur de sens, pour mériter le strapontin au devant de la scène d’un monde en développement permanent qu’il se doit d’influencer par son apport créateur.

Il nous appartient, Africains, d’accepter de mourir pour renaître avec des armes efficaces, capables d’apporter la concurrence dans un combat de survie que nous propose le monde tel qu’il est aujourd’hui. Y-a-t-il dans la mémoire africaine des modèles, des parangons ? Assurément des Njoya, on en trouve dans les fonds de notre patrimoine africain. Ils sont des modèles de fierté et de dignité pour l’Afrique. Nous renaîtrons désormais avec des comportements nouveaux : être à l’heure, tenir parole, mettre sa curiosité au service de la connaissance, savoir acheminer et améliorer la gestion du courrier, voilà quelques exemples d’attitudes à adopter à notre prochaine renaissance. Le simple respect de l’heure est déjà en soi une révolution dans les mentalités.

A quand la nouvelle école africaine pour propager la nouvelle sémantique et inculquer les nouvelles valeurs ? A quand l’école de la libération pour la renaissance africaine débarrassée des scories de la colonisation et du passé ? A quand la recodification de nos valeurs pour nous permettre à nouveau d’identifier le bien du mal, de réussir notre transcendance ?

Les Njoya de la mémoire de notre Afrique nous font espérer, à condition d’aller aussitôt en besogne, nous, Africains, qui n’avons plus droit au retard.

En retard, nous le sommes déjà trop. Il faut que dans une civilisation, il existât des hommes pour remettre en cause, parce que dit Fougeyrollas ‘’dans une civilisation où il n’existerait plus personne pour présentifier le philosopher, l’idée de libération serait obscurcie, et les libertés relatives menacées radicalement à l’intérieur même de l’Homme.’’…

Et le monde est ici pour célébrer cette icône de l’Afrique pour qu’il soit un exemple pour les générations à venir.

Et l’on dira que la lumière des Bamoun était si brillante qu’elle a transcendé les barrières des clans, des ethnies, des frontières pour devenir ce qu’elle devait être : une des étoiles lumineuses pour la renaissance africaine.